Rien qu’en 2023, la Banque Centrale du Congo (BCC) relevait que le volume enregistré des transactions mobile money, en République Démocratique du Congo, était d’environ 15 milliards de dollars soit environ 21% du PIB du pays. Un flux monétaire important qui contribue à réduire la circulation de l’argent en papier.
Seulement, certains intervenants dans la chaîne de mobile money peuvent constituer un frein à l’inclusion monétaire. Il s’agit des tenanciers.
Ces derniers imposent des frais de commission sur des transactions supposées gratuites par les entreprises pourvoyeuses des services de la monnaie électronique ou mobile money. D’après les opérateurs de mobile money : M-pesa, Orangemoney, Afrimoney et Airtel money, il y a deux services : le retrait et le dépôt. Le premier consiste à retirer de l’argent sur son compte. Les frais de commission sur l’opération de retrait sont retenus directement par l’opérateur de mobile money.
Quant au dépôt, il consiste, pour un client, à déposer de l’argent sur son propre compte ou celui d’un proche. C’est ici que se pose un problème avec les tenanciers des cabines ou intermédiaires censés faciliter les transactions dans des coins où les entreprises pourvoyeuses n’ont pas de guichet. Par la ruse, les tenanciers des “cabines” ont scindé l’opération de dépôt en deux. Si le client dépose l’argent sur son propre compte. Il lui est imposé d’avoir son telephone sur lui. C’est gratuit. Mais s’il doit déposer de l’argent sur le compte d’un proche, cela s’appelle “transfert ou envoi”. Il doit dans ce cas payer des frais de commission de mains en mains à celui qui lui a facilité “le transfert”.
Pour faire la lumière sur ce côté sombre de mobile money, NUMERICO.CD a mené une mini-enquête sur cette pratique qui frôle l’arnaque consentie voire normalisée.
Réalité du terrain : La loi du plus fort
Les 4 opérateurs de mobile money en RDC soutiennent unanimement que l’action dite « d’envoi » n’est pas officiellement reconnue. Le terme exact qui convient d’appliquer, selon eux, est celui de « dépôt ». Il désigne une opération gratuite pour le client, où l’argent est transféré d’un compte à un autre sans frais supplémentaires exigés au point de service.
« Le mot – envoi – est un terme inventé par les tenanciers de cabines pour justifier le prélèvement de frais auprès des clients. En réalité, c’est un dépôt, et cette opération est gratuite pour le client. Les agents de cabines reçoivent déjà une commission mensuelle de la part du réseau selon le volume de transactions effectuées. », nous explique M. Grady, un agent Airtel Money.
En face d’une telle réalité, M. Grady recommande aux clients de ne tout simplement pas payer un quelconque frais d’envoi et signaler immédiatement ce tentative d’abus en appelant le service client Airtel Money au 1211.
Loin de se dédouaner, certains tenanciers que nous avons interviewé ont ouvertement reconnu que les frais d’envoi sont une création propre aux réalités du terrain.
« Le terme – envoi – est un moyen de subsistance que nous avons mis en place, car les commissions versées par les réseaux sont trop faibles », estime M. Bila, agent depuis 7 ans à N’djili.
Opérant dans la commune de Masina, M. Gauthier, tenancier des cabines depuis plus de 10 ans, voit les choses de la même manière. « Que la personne soit sur place ou que l’argent soit envoyé à distance, l’action reste un dépôt. Mais pour survivre, nous facturons des frais d’envoi. », admet-il sans gêne.
Ces frais, bien qu’informels, suivent une logique de tarification variable :
- Pour une opération de l’intervalle de 5$ à 10$, le frais d’envoi revient à 500 FC soit près de 0,18$ ;
- Au-delà de 10$, les frais varient selon le montant et le tenancier d’une cabine à une autre. Les clients en abandon
Beaucoup d’abonnés dénoncent une forme d’injustice ou de tromperie.
Par exemple, M. Gédéon, utilisateur de M-Pesa, appelle les mobile money à prendre leur responsabilité. « Le dépôt est censé être gratuit, mais dans les cabines, on paie toujours. Le réseau doit faire respecter les règles », déclare-t-il.
M. Joël, un abonné Orange Money depuis 5 ans, déplore cet abus. « Les tenanciers abusent des frais, car ils veulent gagner plus ».
Une cliente Airtel Money, Mme Laeticia, appelle à muscler le moyen de contrôle de tous les tenanciers. « À chaque transfert, je paie cher. Les réseaux doivent mettre en place un contrôle numérique strict pour réguler les pratiques des agents de cabine », préconise-t-elle.
Notre rédaction n’a pas pu obtenir les informations concordantes sur la période exacte qu’a débuté ce phénomène. Et à ce stade, nul ne saurait imaginer ou même quantifier ce que représente, en volume, les frais dits « d’envoi » perçus par les tenanciers de cabines des opérateurs des services mobile money. Il s’agit ni plus ni moins d’un phénomène qui échappe au contrôle de ceux qui régulent ce secteur. NUMERICO.CD promet de faire la lumière dessus.
Agapé MAKINU | NUMERICO.CD