En avril 2019, le Président Félix Tshisekedi promettait de créer les conditions pour l’émergence de milliardaires congolais, capables de générer des emplois et de contribuer au développement économique de la RDC. Cette vision ambitieuse résonne encore dans nos esprits, mais force est de constater que certaines décisions de l’État vont à l’encontre de cet objectif. L’arrivée de Visa Pay, une initiative de la multinationale Visa, soulève des questions cruciales sur la protection des entrepreneurs locaux et la promotion de l’innovation congolaise.
Visa Pay, avec ses cartes virtuelle et physique valables cinq ans, permet aux utilisateurs d’effectuer des achats en ligne, de payer dans les commerces et de connecter leurs services de paiement mobile comme M-Pesa, Orange Money, Airtel Money ou Afrimoney. Si toute initiative favorisant l’inclusion financière est louable, celle-ci pose un sérieux problème. En autorisant une entreprise internationale comme Visa à proposer directement une application pour les clients finaux, l’État congolais risque de créer une concurrence déloyale qui étouffe les acteurs locaux.
Prenons une analogie : en RDC, une entreprise comme MIDEMA, spécialisée dans la distribution de la farine qui permet de fabriquer le pain et autres, n’est pas autorisée à ouvrir directement ses propres boulangeries pour vendre du pain. Cette règle vise à protéger les intermédiaires et les entrepreneurs locaux, favorisant ainsi un écosystème économique équilibré. De la même manière, permettre à Visa, un géant mondial, de contourner les acteurs locaux pour offrir des services directement aux consommateurs est une faute stratégique. Cela tue dans l’œuf la possibilité pour les entrepreneurs congolais de développer des services intermédiaires innovants, qui pourraient créer des emplois et de la valeur ajoutée.
L’écosystème tech congolais, dont je fais partie depuis plus de deux décennies, regorge de talents et d’idées. Mais ces talents ont besoin d’un cadre réglementaire qui les protège et leur donne une chance de rivaliser. En laissant des géants comme Visa occuper l’espace des services numériques sans restrictions, l’État prive les entrepreneurs locaux d’opportunités cruciales pour innover et prospérer. Cela va à l’encontre de la promesse de créer des milliardaires congolais et, plus largement, un tissu économique dynamique.
L’État doit jouer son rôle de régulateur pour garantir une concurrence équitable. Cela passe par des politiques qui encouragent les partenariats entre les multinationales et les acteurs locaux, plutôt que de permettre à ces premières de dominer le marché.
Protégeons notre écosystème tech pour qu’il devienne un moteur de création de richesses et d’emplois en RDC. L’avenir de l’innovation congolaise en dépend.
Par Filip Keyser Kabeya, co-fondateur du Lumumba Lab (LLab), pionnier de
l’écosystème tech en RDC, avec plus de 20 ans d’expérience dans le secteur technologique.
15 septembre 2025