La République Démocratique du Congo connaît, en ce début d’août 2025, une nouvelle recomposition institutionnelle majeure dans le secteur du numérique. Après la création en 2021 du Ministère du Numérique aux côtés du Ministère des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (PTNTIC), et la fusion de ces attributions en 2024 dans un seul ministère élargi (Ministère des Postes, Télécommunications et Numérique-PTN), le pays franchit un nouveau cap avec l’instauration du Ministère de l’Économie Numérique.
Ce nouveau portefeuille, qui coexistera avec le PTNTIC et le Ministère de l’Économie Nationale, s’inscrit dans une tendance observée dans plusieurs pays africains, à l’instar de la Côte d’Ivoire ou du Congo-Brazzaville, où l’économie numérique est traitée comme un champ politique distinct, avec des enjeux économiques, réglementaires et technologiques propres.
- Reconfiguration institutionnelle aux implications stratégiques
La dissociation des attributions entre postes/télécommunications et économie numérique ramène la RDC à une configuration proche de celle de 2021, mais dans un contexte différent. Aujourd’hui, l’économie numérique congolaise repose sur un socle juridique et stratégique renforcé, notamment :
- La Convention de l’Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel (Convention de Malabo), ratifiée par la RDC le 6 mars 2025, avec dépôt des instruments de ratification le 27 juin 2025.
- Le Code du numérique (Ordonnance-loi n° 23/010 du 13 mars 2023) qui définit le cadre légal de l’écosystème numérique congolais.
Ces évolutions créent un terrain propice à l’alignement de la gouvernance nationale sur les standards internationaux. Mais elles imposent également la réalisation d’un audit législatif complet pour assurer la conformité de l’ensemble du droit congolais aux engagements pris dans le cadre de la Convention de Malabo (voir l’article « 5 choses à retenir sur la ratification de la Convention de Malabo »).
- Régulation à la croisée des chemins

L’Autorité de Régulation des Postes et Télécommunications du Congo (ARPTC), historiquement compétente pour la régulation des télécommunications, a vu son champ d’action s’élargir, notamment par l’arrêté ministériel n° CAB/MIN/PT&N/AKIM/KL/Kbs/051/2024 du 17 août 2024 portant harmonisation des modalités de mise en œuvre des régimes de l’Ordonnance-loi n° 023/010 du 13 mars 2023 portant Code du Numérique et de la loi n° 20/017 du 25 novembre 2020 relative aux Télécommunications et aux Technologies de l’Information et de la Communication en République Démocratique du Congo, du Ministre des PTN.
Cet arrêté lui confère provisoirement des missions en matière de régulation des services numériques, de certification électronique et de protection des données à caractère personnel.
Avec la création du Ministère de l’Économie Numérique, l’ARPTC devra articuler son action entre deux entités gouvernementales, en l’occurrence le Ministre des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (PTNTIC) pour les matières relevant de la compétence de la Loi no 20/017 du 25 novembre 2020 relative aux télécommunications et aux technologies de l’information et de la communication ; ainsi qu’au Ministre de l’Économie Numérique pour les compétences relevant de l’Ordonnance-Loi no 23/010 du 13 mars 2023 portant Code du numérique et de l’Arrêté ministériel n° CAB/MIN/PT&N/AKIM/KL/Kbs/051/2024 du 17 août 2024.
À ce titre, des défis se posent notamment sur la clarté des lignes et champs d’application, la préservation de l’indépendance régulatoire et l’harmonisation des priorités sectorielles.
- Leviers et lacunes de l’ancrage de l’économie numérique congolaise
À ce jour, deux leviers principaux structurent l’économie numérique nationale :
a. La Convention de Malabo – qui impose des obligations en matière de cybersécurité, de protection des données et de transactions électroniques sécurisées.
b. Le Code du numérique – qui établit le cadre juridique pour les acteurs, les services et les infrastructures numériques.
Cependant, les mesures d’application du Code demeurent largement attendues. Cette absence ralentit notamment la régulation effective des services numériques, le déploiement du commerce électronique et des transactions électroniques de confiance, la mise en œuvre des régimes d’autorisation et de déclaration et l’effectivité de la protection des données personnelles.
À cela s’ajoute la nécessité de renforcer les services numériques publics (identité numérique, e-gouvernement, plateformes de paiement électronique) pour stimuler la demande et asseoir la confiance numérique des citoyens congolais.
- Perspectives et recommandations
Pour transformer ce nouveau ministère en levier de développement durable et inclusif, plusieurs priorités s’imposent, notamment :
- L’audit de la législation nationale du numérique, intégrant l’ensemble des textes existants (télécommunications, commerce électronique, données personnelles, cybersécurité) pour garantir leur cohérence avec la Convention de Malabo et les meilleures pratiques internationales ;
- L’harmonisation du cadre légal et institutionnel ;
- La définition d’une politique nationale de l’économie numérique ;
- L’adoption d’un cadre fixant des objectifs mesurables de transformation numérique à court, moyen et long termes ;
- L’investissement dans la réduction de la fracture numérique, notamment par le renforcement du rôle du Fonds de Développement du Service Universel (FDSU), dont les missions couvrent à la fois les télécommunications et le numérique. Cet investissement devrait se traduire par l’extension prioritaire de la couverture haut débit dans les zones rurales et enclavées, afin de garantir un accès universel et équitable aux services numériques. Le FDSU servirait ainsi de principal levier pour financer et accompagner ces déploiements stratégiques ;
- Le renforcement de la coopération interinstitutionnelle dans le cadre de l’action gouvernementale à travers l’établissement d’un mécanisme permanent de concertation entre le Ministère de l’Économie Numérique, celui des PTNTIC, de l’Économie Nationale, l’Autorité de Régulation de la Poste et Télécommunications du Congo (ARPTC), le Fonds du Développement du Service Universel (FDSU) ainsi que les autres acteurs clés en l’occurrence la Banque Mondiale à travers le Projet Accéléré de Transformation Numérique (PATN).
En guise de conclusion, la création du Ministère de l’Économie Numérique constitue une opportunité majeure pour repositionner la République Démocratique du Congo dans le paysage numérique africain et mondial. Mais cette opportunité ne pourra être pleinement exploitée qu’au prix d’une clarification des rôles, d’une exécution réglementaire rapide et d’une coordination renforcée entre tous les acteurs.
Construire la nouvelle économie numérique congolaise, c’est à la fois achever l’édifice juridique existant et bâtir les institutions et infrastructures qui permettront de transformer le potentiel numérique du pays en croissance inclusive et en compétitivité internationale.
Prosper NTETIKA MBAKATA
Avocat et spécialiste en Droit du numérique
Doctorant en Droit de l’Université de Kinshasa
Président du Think Tank Law and Technologies