Les Etats sont plus exposés que par le passé aux influences extérieures en raison de la numérisation des échanges et de la mondialisation de l’économie. Les regimes autoritaires, comme les régimes démocratiques, ne perçoivent non seulement l’information comme un instrument de rayonnement, mais aussi comme une source de vulnérabilité.
La sécurisation de l’information
A l’ère du tout numérique, la protection de flux d’information et des infrastructures dédiées est devenue un enjeu majeur pour les dirigeants congolais. Cette question touche à la sécurité nationale dans la mesure où des adversaires extérieurs cherchent à mettre en péril la stabilité du pays et porter atteinte aux fondements de son système politique en catalysant le mécontentement, la manipulation des informations et en menant des campagnes d’influence. Le problème est d’autant plus complexe que les autorités congolaises se heurtent à des adversaires déclarés tel que le Rwanda, mais aussi divers acteurs privés, qui accomplissent des activités d’information et de subversion des divers types. Pour la RD Congo, la définition des responsabilités et la coordination des réponses présentent des défis nouveaux en raison du rôle que les internautes congolais et les opérateurs peuvent jouer dans les opérations de désinformation. D’un côté, les phénomènes d’amplification sur Internet dépendent en grande partie du comportement de certains internautes congolais, qui, à leur insu ou en toute conscience, deviennent des agents actifs des campagnes d’influence ou de désinformation. De l’autre côté, les GAFAM peuvent difficilement être tenus responsables des manipulations de l’information dont ils sont souvent le vecteur non intentionnel, en particulier en contexte électoral.
Face à l’ampleur de ces questions, une méthode de recherche qui consisterait à se concentrer uniquement sur les actions entreprises dans le domaine de l’information et sur les moyens à mobiliser pour sécuriser l’espace virtuel congolais, paraît insuffisante. Il faut de surcroît inclure une réflexion sur la construction déductive de la menace et comprendre comment celle-ci s’articule à la politique de gestion de la menace.
La prévention des régimes autoritaires comme possible modèle à adopter?
Les régimes autoritaires se caractérisent par le refus de tolérer l’expression de désaccords politiques dans leurs sphères d’influence et considère la libre circulation des idées comme une source majeure de danger. La révolution numérique favorise une diffusion horizontale de l’information et occasionne l’agentivité des sociétés à renforcer leurs préventions. De nos jours, la tâche est ardue pour qui veut contrôler l’information, étouffer l’opposition ou empêcher des révélations embarrassantes. Il ne suffit plus d’exercer un contrôle vertical sur les médias d’Etat en mettant au pas une poignée de journalistes ; il faut, en outre, freiner l’expression horizontale d’idées alternatives par le biais de sites Internet et des médias sociaux anonymes, ce qui pose des obstacles techniques.
En matière d’information, les régimes autoritaires optent généralement pour une posture à la fois défensive et offensive. D’un côté, ils tentent de stopper certains flux d’information en déployant des mesures de confinement, de blocage et de filtrage, et en judiciarisant l’expression de positions jugées hostiles sur Internet. Ils cherchent aussi à protéger leurs infrastructures critiques et à se prémunir contre toute tentative d’espionnage. De l’autre côté, ils exploitent les leviers d’influence qu’offre la révolution numérique pour porter atteinte à leurs adversaires déclarés dans le champ informationnel. Dans cette confrontation, ils disposent d’un avantage certain puisqu’ils peuvent à la fois manipuler les relais d’opinion avec une efficacité décuplée et subvertir la liberté d’expression qui prévaut dans la société ouverte.
La vulnérabilité de la RD Congo comme régime démocratique
La révolution numérique met aussi à rude épreuve la RD Congo qui se veut être une démocratie. Ses vulnérabilités sont liées à son degré de développement technologique, de son acculturation numérique et au fonctionnement de sa société. Il y a tout d’abord, les opérateurs d’importance vitale, comme le secteur de l’énergie (Electricité, eau etc.) ou le secteur de la défense, s’ils sont hautement connectés, une attaque sur la couche infrastructurelle ou logicielle du cyberespace congolais peut facilement les mettre hors d’état et, par voie de conséquence, menacer la sécurité physique des personnes. Il y a aussi, l’apparition des réseaux sociaux qui facilite les mobilisations en ligne et exacerbe la crise de légitimité dont souffrent les élites politiques et gouvernementales congolaises. Une campagne de désinformation peut être difficile à contrer dans la mesure où toute interdiction est perçue comme une censure.
Tout bien considéré, la guerre de l’information à laquelle la RD Congo fait face constitue un des facteurs d’accélération des évolutions de sa société démocratique et met à l’épreuve sa capacité de résilience. Le gouvernement congolais soucieux de préserver les institutions démocratiques et la sincérité du vote se trouve confronté à des dilemmes cornéliens, tout autant à des questions insolubles.
La RD Congo peut-elle en temps de paix ou en temps de guerre, utiliser “les armes de l’adversaire?” sans renier ses valeurs démocratiques et dévoyer ses principes ? L’information du public et l’éducation aux médias suffisent-elles à prémunir les citoyens congolais d’éventuelles manipulations et à garantir la préservation d’une société ouverte, alors que la crise de confiance s’accroît, que se développent des faux quasiment indétectable et que se répandent des techniques que l’on appelle deep fakes et qui permettent au plus grand nombre de créer facilement des faux ?